Édition nº 212a

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Jung et les quatre masques

Carl Gustav Jung, un des fondateurs de la psychanalyse moderne, disait souvent que nous buvons tous à une même source. Pour définir cela, il développa une théorie dont on peut trouver l’origine dans le travail des anciens alchimistes, qui appelaient cette source « âme du monde » (Anima Mundi).

Selon cette théorie, nous tentons toujours d’être des individus indépendants, mais une partie de notre mémoire est commune. Indépendamment du credo ou de la culture, nous cherchons tous l’idéal de la beauté, de la danse, de la divinité, de la musique.

La société se charge cependant de définir la façon dont ces idéaux vont se manifester sur le plan du réel. Par exemple, de nos jours, l’idéal de beauté est la maigreur, alors qu’il y a des milliers d’années les déesses des statues étaient grosses. Il se passe la même chose avec le bonheur : il existe une série de règles que vous devez suivre, sinon votre conscient n’acceptera pas l’idée que vous êtes heureux. Ces règles ne sont pas absolues, et elles changent d’une génération à l’autre.

Jung classait le progrès individuel en quatre étapes : la première était la Persona – le masque que nous portons tous les jours, dissimulant ce que nous sommes. Nous croyons que le monde dépend de nous, que nous sommes des parents formidables et que nos enfants ne nous comprennent pas, que les patrons sont injustes, que le rêve de l’être humain est de ne jamais travailler et de passer sa vie à voyager. Certaines personnes s’efforcent de comprendre ce qui ne va pas, et elles finissent par rencontrer l’Ombre.

L’Ombre est notre côté noir, qui dicte la façon dont nous devons agir et nous comporter. Quand nous tentons de nous libérer de la Persona, nous allumons une lumière en nous, et nous voyons les toiles d’araignée, la lâcheté, la mesquinerie. L’Ombre est là pour entraver notre progrès – et en général elle y parvient, nous redevenons vite celui que nous étions avant de douter. Pourtant, certains survivent à cette confrontation avec leurs toiles d’araignée et disent : « Oui, j’ai une série de défauts, mais je suis digne, et je veux aller de l’avant. »

À ce moment, l’Ombre disparaît, et nous entrons en contact avec l’Âme.

Par Âme, Jung ne définit rien de religieux ; il parle d’un retour à l’Âme du Monde, source de la connaissance. Les instincts commencent à s’aiguiser, les émotions sont radicales, les signes de la vie sont plus importants que la logique, la perception de la réalité n’est plus aussi rigide. Nous sommes confrontés à des choses auxquelles nous ne sommes pas accoutumés, nous nous mettons à réagir d’une manière inattendue à nos propres yeux.

Et nous découvrons que si nous parvenons à canaliser ce jaillissement continu d’énergie, nous allons l’organiser dans un centre très solide, que Jung appelle le Vieux Sage pour les hommes, ou la Grande Mère pour les femmes.

Il est dangereux de permettre cette manifestation. Généralement, celui qui atteint ce stade a tendance à se considérer comme un saint, un dompteur d’esprits, un prophète.

Non seulement les personnes, mais aussi les sociétés portent ces quatre masques. La civilisation occidentale a une Persona, des idées qui nous guident et qui paraissent des vérités absolues.

Mais les choses changent. Dans leur tentative de s’adapter aux changements, nous voyons les grandes manifestations de masse, dans lesquelles l’énergie collective peut être manipulée pour le bien comme pour le mal (Ombre). Soudain, pour une raison quelconque, la Persona ou l’Ombre ne sont plus satisfaisantes – le moment est arrivé d’un saut, de nouvelles valeurs commencent à surgir (plongée dans l’Âme).

Et au bout de ce processus, pour que ces nouvelles valeurs s’installent, la race entière entre de nouveau en contact avec le langage des signes (le Vieux Sage).

C’est exactement cela que nous sommes en train de vivre. Cela peut durer cent ou deux cents ans, mais les choses changent – pour le meilleur.