Édition nº 212

La conversation avec le démon


La conversation avec le démon

L’homme regardait le soir tomber sur la belle plage, près de sa femme, pendant ses vacances bien méritées. Tout paraissait absolument à sa place, et soudain, du fond de son cœur, surgit une voix sympathique, familière, mais qui posait une question difficile :

« Es-tu content ?

– Oui, répondit-il.

– Alors, regarde attentivement autour de toi.

– Qui es-tu ?

– Je suis le démon. Et toi, tu ne peux pas être content, parce que tu sais que, tôt ou tard, la tragédie peut se présenter et déséquilibrer ton monde. Regarde attentivement autour de toi, et comprends que la vertu n’est qu’une des faces de la terreur. »

Et le démon commença à lui montrer tout ce qui se passait sur la plage. L’excellent père de famille qui à ce moment rangeait les affaires et aidait ses enfants à mettre leur pull-over aurait aimé avoir une aventure avec sa secrétaire, mais il était terrorisé par la réaction de sa femme.

La femme, qui aurait aimé travailler et avoir son indépendance, était terrorisée par la réaction de son mari.

Les enfants se tenaient bien, terrorisés par les punitions.

La fille qui lisait un livre, seule sous une tente, feignait de s’ennuyer alors que son âme était terrorisée à l’idée de ne jamais rencontrer l’amour de sa vie.

Le garçon qui exerçait son corps avec sa raquette était terrorisé de devoir répondre aux attentes de ses parents.

Le vieux qui ne fumait pas et ne buvait pas affirmait qu’il n’était plus en état d’agir de la sorte, alors que, en réalité, la terreur de la mort murmurait comme le vent à ses oreilles.

Un couple passa en courant, donnant des coups de pieds dans l’eau des vagues déferlantes, le sourire aux lèvres, une terreur secrète leur disant qu’ils allaient devenir vieux, inintéressants, invalides.

L’homme qui arrêta son canot devant tout le monde et fit signe de la main, souriant, tout bronzé de soleil, mourait de terreur parce qu’il risquait de perdre son argent d’une heure à l’autre.

Le patron de l’hôtel est venu saluer ses hôtes au moment où le soleil se cachait, s’efforçant de tous les satisfaire et de les encourager, exigeant le maximum de ses caissiers, la terreur dans l’âme parce qu’il savait que – aussi honnête qu’il fût – les hommes du gouvernement découvraient toujours les failles qu’ils voulaient trouver dans la comptabilité.

La terreur chez toutes ces personnes sur la jolie plage, dans une fin de soirée à couper le souffle. Terreur de rester seul, terreur de l’obscurité qui peuplait l’imagination de démons, terreur de faire quelque chose sans respecter le manuel du bon comportement, terreur du jugement de Dieu, terreur des commentaires des hommes, terreur de la justice qui punissait tout manquement, terreur de l’injustice qui laissait les coupables en liberté et les rendait menaçants, terreur de risquer et de perdre, terreur de gagner et de devoir supporter l’envie, terreur d’aimer et d’être rejeté, terreur de demander une augmentation, d’accepter une invitation, d’aller dans des endroits inconnus, de ne pas réussir à parler une langue étrangère, de ne pas pouvoir impressionner les autres, de vieillir, de mourir, d’être remarqué pour ses défauts, de ne pas être remarqué pour ses qualités, de n’être remarqué ni pour ses défauts ni pour ses qualités.

« J’espère que cela te tranquillise, termina le démon. Finalement, tu n’es pas seul avec tes peurs.

– S’il te plaît, ne pars pas avant d’entendre ce que j’ai à dire, répondit l’homme. Nous avons une capacité incroyable pour détecter les douleurs, les remords, les blessures – ou la terreur, comme tu préfères. Mais un jour, mon père m’a raconté l’histoire d’un pommier qui était tellement chargé de pommes qu’il ne pouvait plus laisser ses branches chanter avec le vent. Quelqu’un qui passait demanda pourquoi il ne cherchait pas à attirer l’attention, comme tous les autres arbres. “Mes fruits sont ma meilleure publicité”, répondit le pommier.

« Bien sûr, je ne suis pas différent de qui que ce soit, et mon cœur abrite beaucoup de peurs. Mais malgré tout, les fruits de ma vie parlent pour moi, et si un jour arrive une tragédie, je sais que je n’ai pas passé ma vie sans prendre de risque. »

Et le démon, déçu, s’en alla pour tenter d’effrayer d’autres personnes plus faibles.

 
Édition 212
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